Qualification du bien en cas de remploi de fonds propres : évaluation de la part contributive de la communauté (Cass. civ. 07/11/2018).

L’indemnité de remboursement anticipé d’un prêt ne peut être assimilée à des frais d’acquisition

1. Ce qu’il faut retenir

Lorsqu’il est fait emploi ou remploi de fonds propres, la qualification du bien acquis dépend de l’importance de la contribution du patrimoine propre par rapport à celle de la communauté.

Le bien sera qualifié de commun si le financement de la communauté excède celui de l’époux acquéreur.  Cette appréciation est faite en considération du prix et des frais d’acquisition.

L’indemnité de remboursement anticipé ne concourt pas aux frais d’acquisition du bien. Elle ne peut donc être retenue pour comparer la part contributive de la communauté et de l’époux acquéreur. 

Remarque :

Lorsque la somme dont il est fait emploi ou remploi excède le prix et les frais d’acquisition supportés par la communauté, celle-ci a droit à récompense. A contrario, lorsque le bien est financé par l’emploi ou le remploi de fonds propres, mais majoritairement par la communauté, une récompense est due à l’époux. Cass.civ.1 du 7 nov 2018, n° 17-25965


C. civ. art. 1436

2. Conséquences pratiques – Avis Fidroit

La qualification d’un bien acquis au cours de l’application d’un régime de communauté est déterminante. De celle-ci dépendent notamment :

  • Les pouvoirs de gestion de chacun des époux ;
  • L’assiette du gage des créanciers ;
  • Le sort du bien lors de la liquidation de régime matrimonial.

Lorsqu’un emploi ou un remploi de fonds propres est envisagé, il est indispensable d’identifier si ces derniers sont suffisamment importants pour que le bien acquis soit propre. A défaut, on pourra, selon les circonstances, envisager d’autres modalités d’acquisition, par l’intermédiaire d’une société, par exemple (une étude de l’opportunité de ce choix sera évidemment à effectuer). 

Les intérêts d’emprunt comme l’indemnité de remboursement anticipé n’entrent pas dans la comparaison pour déterminer la part contributive de la communauté car il s’agit d’une charge de jouissance supportée par cette dernière (Cass. civ. 1, 5 mars 2008, n° 07-12392).

Remarque : 

Dès lors que l’indemnité de remboursement anticipé revêt la qualification de « charge de jouissance », la communauté devra en supporter le paiement à titre définitif. En d’autres termes, la communauté n’aura pas droit à récompense, de la même manière que pour les intérêts d’emprunt (Cass. civ. 1, 31 mars 1992, n°90-17.303)

Pour que la qualification de bien propre soit effective, il n’est pas nécessaire que la part contributive de l’époux acquéreur représente plus de la moitié du prix et des frais d’acquisition. Celle-ci doit seulement être égale ou supérieure à la participation de la communauté. Par conséquent, si une part minoritaire du financement est assumée par l’autre époux en emploi de fonds propres, le bien sera propre.

3. Pour aller plus loin

3.1. Contexte

La communauté de biens réduite aux acquêts est le régime légal instauré par la loi du 13 juillet 1965, qui s’applique aux époux mariés sans contrat de mariage à compter du 1er février 1966.

Ce régime matrimonial a pour caractéristique principale la répartition des biens des époux en trois masses : une masse propre pour chacun des époux et une masse commune.

Lors de remploi ou d’emploi de fonds propres par les époux, les biens acquis sont propres par subrogation. 

Ici, la subrogation est subordonnée à une manifestation de volonté particulière.

On parle d’emploi lorsque l’époux a directement des deniers propres (il les avait avant le mariage, il en a hérités, on les lui a donnés, ou on les lui a légués). On parle de remploi lorsque l’époux a des deniers propres issus de la vente d’un bien propre.

Toutefois, comment déterminer la qualification d’un bien acquis par des masses différentes (les époux et la communauté) ?

C. civ. art. 1436 : « Quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent. Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation se prononce sur la consistance des frais d’acquisition à retenir, pour comparer la contribution du patrimoine propre des époux et de la communauté et ainsi qualifier le bien.
Cette qualification est capitale pour déterminer les récompenses. Si le bien est propre, la communauté a droit à récompense. S’il s’agit d’un bien commun, c’est l’époux qui a droit à récompense.

Exemples :
  • Un époux acquiert une maison pour 100 (prix de 95 + frais de 5), en remployant des deniers propres à hauteur de 80. Les 20 restants sont donc payés par la communauté. Dans ce cas, la maison constituera un propre pour l’époux, et il devra une récompense à la communauté pour sa contribution au financement.
  • Un époux acquiert une maison pour 100 (prix de 95 + frais de 5), en remployant des deniers propres à hauteur de 40. Les 60 restants sont donc payés par la communauté. Dans ce cas, la maison constituera un acquêt de communauté, et cette dernière devra une récompense à l’époux pour sa contribution au financement.

3.2. Faits et procédure

Des époux mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts ont acquis un bien immobilier. Les trois masses de biens (patrimoine propre de chacun des époux et patrimoine commun) participent au financement (frais et prix d’acquisition). 

Les époux procèdent à une déclaration d’emploi de deniers propres et la communauté finance le solde à crédit. 

Ils remboursent de manière anticipée le crédit.

Lors du divorce des époux, il est question de la qualification du bien.

Monsieur X soutient que le bien est commun puisque la communauté a acquitté l’indemnité de remboursement anticipé, celle-ci devant être intégrée aux frais d’acquisition. En acquittant cette indemnité, la participation de la communauté est supérieure à celle des époux. Monsieur argue également que la participation en fonds propres doit représenter 50 % de la valeur d’achat.

La Cour d’appel retient la qualification de bien propre à l’épouse. Monsieur X se pourvoit en cassation.

3.3. Arrêt

La Cour de cassation confirme la décision de la Cour d’appel de Bordeaux. Pour elle  » l’indemnité de remboursement anticipé du prêt, constitutive d’une charge de jouissance supportée par la communauté, ne pouvait être assimilée à de tels frais ».

De même, elle rappelle que pour qualifier le bien de propre il n’est pas nécessaire que les fonds aient financé la moitié du bien, la contribution de l’époux doit seulement être supérieure ou égale à celle de la communauté.

3.4. Analyse

La Cour de cassation fait une distinction entre les frais liés à l’acquisition du bien et les frais liés à l’emprunt du bien. L’indemnité de remboursement anticipé constitue, tout comme les intérêts d’emprunt, une charge liée à la jouissance du bien. Pour cette raison, elle ne peut être intégrée dans la part contributive de la communauté.

Dans le cas d’espèce, les époux avaient tous deux fait emploi ou remploi de fonds propres dans l’acte d’acquisition. La répartition des financements était la suivante :

  • Apport de Madame : 60 979,61 euros ;
  • Apport de la communauté : 60 756,75 euros ;
  • Apport de Monsieur : 15 244,90 euros.

Selon la Cour de cassation, le bien acquis doit être qualifié de propre car la participation de Madame dans le financement est supérieure à celle de la communauté. La décision ne tranche cependant pas la question de savoir s’il convient de faire masse de l’ensemble des sommes apportées par chacun des époux pour apprécier le caractère propre ou commun d’une acquisition. S’il s’avérait, en effet,  que l’apport de Monsieur avait été inférieur à celui de la communauté, aurait-on pu qualifier le bien de propre si le cumul des apports des deux époux avait néanmoins été supérieur à la moitié du prix d’acquisition ?

De cette question dépend également la propriété et le régime d’indemnisation liés à l’opération. En effet, si chacun des époux fait emploi ou remploi de fonds propres et cette participation au financement excède celle de la communauté, le bien devrait pouvoir être qualifié de bien propre indivis entre les époux (à condition que l’acte d’acquisition fasse état de ces quotes-parts de propriété)… Il semble que cet argument n’ait pas été invoqué devant les juges du fond. 

Source : Fidroit

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